Un bar pas trop bruyant, un verre de vin, un magnétophone au milieu de la table, et David lance la première question...
DC
- Bon alors, qu’est-ce qui t’a pris de dire oui ?
A - Tu me parlais de cette idée depuis
un moment, et depuis vingt ans que j'écoutais Daho, souvent en
dessinant, j’avais l’impression d’en avoir imprégné certaines
de mes images... ça avait du sens, de venir dessiner « avec »
lui. Et puis j'avais envie de partager, à nouveau, un livre avec
toi. Quelque chose d’atypique… Tout ça me semblait d’excellentes
raisons de s’embarquer, sans réfléchir plus.
Et toi? Tu pensais que ça prendrait de telles proportions, ce
livre?
DC - C’était vraiment un saut dans
l’inconnu, que ce soit sur le plan personnel, comme sur le plan
professionnel. Je n’ai jamais été très convaincu par le fait
qu’il fallait à tout prix rencontrer les gens dont on admire le
travail, dont l’oeuvre nous a marqué. Je pense que ça peut vite
être très embarrassant pour tout le monde. Mais là, on arrivait
avec une démarche professionnelle, un vrai projet, suivre
l’enregistrement de cet album et le raconter en bande dessinée…
On était loin, bien sûr, de se douter que ça allait nous mener si
loin et durer trois ans…
Tu te souviens de la première fois
qu’on est allés à Londres ?
A - On faisait pas trop les malins, en
descendant du Shuttle, avouons-le maintenant... Je me souviens des 5
minutes passées en bas de son immeuble, devant ces trois interphones
sans noms, à se demander sur lequel appuyer. Et puis, on venait avec
la certitude qu'il faudrait lui présenter notre projet, le
convaincre. On pensait que ce premier rendez-vous ferait office
d'examen de passage... Avant de s'apercevoir que, pour lui, c'était
déjà ok, qu'on pouvait commencer. Il avait déjà « adopté »
le livre...
Et pour toi, cette première à
Londres?
DC - Alors comment dire ? Si on m’avait
dit, trois mois plus tôt, que je me retrouverais un jour assis dans
un canapé à côté d’Etienne Daho, en train de boire un thé et
écouter en exclusivité les maquettes de son futur album… Cette
première rencontre était très impressionnante, mais finalement,
elle a été à l’image de tout ce qui a suivi, simple, presque
évidente. On ignorait alors que c’était la première d’une
longue série de traversées souterraines de la Manche. La suivante
nous emmènerait au Studios, qui ont vu défiler de nombreux
chanteurs et où Bowie enregistra rien moins que Ziggy Stardust…
Là encore, on était en
clandestins. C’est comme ça que je l’ai ressenti, en tout cas.
Pas toi ?
A - Clandestins. C'est marrant, comme
idée. Oui, il y avait un peu de ça, c'est vrai. Et en même temps,
ni Etienne ni aucunes des personnes rencontrées sur cette période,
ne nous ont jamais fait nous sentir "intrus". Il y a
toujours eu beaucoup de bienveillance et de curiosité, vis à vis de
notre démarche... Même si je voyais bien qu'ils ne saisissaient pas
toujours ce que foutait ce grand couillon avec son carnet à la main,
dans un coin du studio, en train de dessiner à toute berzingue...
La grande difficulté, sur la durée,
ça aura été quoi, pour toi?
DC - Trouver la bonne distance. On fait
un livre de 150 pages sur la vie d’un disque, sa conception, son
enregistrement, sa sortie, sa promotion, la tournée qui le fait
ensuite exister… On doit raconter tout ça, à des gens qui
connaissent et aiment l’album en question et Daho… Et à d’autres
qui ne connaissent pas ou n’aiment pas particulièrement, mais ont
quand même la curiosité de lire le livre… Et il faut que ça
garde le même intérêt pour les deux. C’est un drôle d’équilibre
à trouver. Même chose pour les gens qui connaissent bien la musique
et ceux qui ignorent tout de la manière dont elle est « fabriquée
». Il faut que les deux y trouvent leur compte.
C’est ce que j’ai gardé en tête
tout du long de la réalisation du livre et qui m’apparaît comme
le plus difficile.
Et toi, à part me supporter ? Quel
était le défi graphique ?
A - Te supporter, je le fais depuis
quinze ans. S'il avait fallu craquer, ça aurait eu lieu depuis
longtemps.
Graphiquement, Le gros défi c'était de
parvenir à représenter les protagonistes, Etienne en tête, sans
tomber ni dans le photographique figé, ni dans le trop
caricatural. Pas simple de dessiner quelqu'un comme Daho, avec son
faux air de Peter Pan sans âge... L'autre défi, c'était de
traduire en quelques cases ces moments qui duraient parfois une
journée complète. Trouver le ton juste pour faire, graphiquement,
le tour de tout ce qu'il y avait à dire dans chaque séquence.
Enfin, je voulais trouver une manière de "dessiner" la
musique. De traduire en dessin l'énergie que ça diffuse, la
musique. Je ne pouvais pas me contenter d'un procédé anecdotique
comme on le fait quand on doit juste signifier qu'un poste radio
marche en fond de décor... Traduire ces vagues...
Ton meilleur souvenir de tout ça,
c'est quoi?
DC - J’en ai deux, et il est difficile
de les hiérarchiser. Le premier, c’est cette fois où nous étions
dans les loges du Grand Journal et où nous avons vu Etienne et
échangé quelques mots avec lui. C’était la première fois qu’on
le revoyait depuis son gros problème de santé qui a failli mal se
terminer, et qui a reporté la sortie du disque et la tournée. Le
retrouver vivant, souriant et en bonne forme, c’était comme un
soulagement.
Le second, c’est le jour où nous
sommes venus assister aux répétitions et où on en fait assisté à
un véritable concert privé d’Etienne et de l’ensemble du
groupe, puisqu’ils devaient faire le filage entier des titres de la
tournée. On était là, vautrés sur des canapés, à assister quasi
intégralement au concert, comme les deux privilégiés qu’on
était, et ça semblait presque… Normal ! Un moment
inoubliable…
Tout autre chose, la couverture,
tu as longtemps tourné autour ?
A - Etrangement, non. J’ai su assez vite
que je voudrais quelque chose de sobre et simple. Depuis le départ,
je considère ce livre, et toute cette aventure, comme un voyage dont
je tiendrais un journal dessiné. D’où ce traitement au crayon,
dans l’album, qui rappelle celui que j’utilise souvent dans mes
carnets. Un journal de route, donc, dont le profil en couverture
évoquerait un continent…
Qu’est ce que tu retiens,
aujourd’hui, de cette drôle d’aventure ?
DC - Que ceux qui disent qu’il ne faut
jamais chercher à rencontrer les gens dont on admire l’œuvre ont
parfois totalement tort.
Et toi ?
A - L’énergie positive et communicative
que dégage Etienne. Quand on le quittait, je me sentais serein et
gonflé à bloc.
DC – tu m’aimes encore ?
A – Un peu plus qu’hier, bien moins
que demain.